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IRQ - Climate Change - 2024 - Meethak AL khatib (9)-min © Meethak AL khatib pour Action contre la Faim

À la Une

Irak

Les agriculteurs du sud irakien frappés par la crise de l’eau

Les agriculteurs de la région de Bassorah dépendent du fleuve Chatt el Arab, à la confluence du Tigre et de l’Euphrate, et de ses canaux d’eau douce pour leur usage domestique et l’irrigation de leurs terres. Mais le Chatt el Arab présente des niveaux croissants de pollution et de salinisation, tandis que son débit faiblit d’années en années. Les rejets d’eaux usées et les déchets industriels ont réduit son riche écosystème comme peau de chagrin et rendu son eau impropre à la consommation. En 2018, plus de 150 000 cas d’empoisonnement liés à la consommation d’eau du Chatt el Arab avaient été répertoriés à Bassorah. L’incident avait soulevé l’indignation de l’opinion publique et déclenché des manifestations à l’échelle nationale pour dénoncer le manque d’accès à l’eau potable.

Présente en Irak depuis 2013, Action contre la Faim (ACF) soutient les agriculteurs face à la crise de l’eau en plaidant pour des pratiques agricoles intelligentes sur le plan climatique, des technologies innovantes et une agriculture économe en eau. Nous aidons par ailleurs les ménages agricoles les plus vulnérables à travers la distribution de matériel agricole, de bons alimentaires et nous prévenons la malnutrition par le biais de formations axées sur la nutrition.

 

Une crise de l’eau multidimensionnelle

 

Du fait de décennies de conflit, d’une mauvaise gestion de l’environnement, du manque d’entretien des canaux d’irrigation, de la dépendance à ses voisins pour ses ressources hydriques et de l’accélération du changement climatique, l’eau est devenue une denrée rare en Irak.

Les niveaux du Tigre et l’Euphrate ont diminué de 30 % depuis les années 1980 et devraient encore baisser de 50 % d’ici 2030, notamment du fait de la construction de barrages dans les pays voisins¹. Des chiffres alarmants dans la mesure où les fleuves représentent plus de 90 % des réserves d’eau douce du pays.

La diminution des ressources hydriques est accentuée par l’utilisation non réglementée de l’eau par les consommateurs, par des pratiques d’irrigation voraces en eau et par la crise climatique. De plus en plus, des vagues de chaleur enveloppent l’Irak et font suffoquer sa population sous des températures qui peuvent atteindre les 50 degrés Celsius. D’ici 2050, la température moyenne annuelle du pays devrait augmenter de 2 degrés et les précipitations moyennes annuelles devraient diminuer de 9%². Si les précipitations ou la végétation diminuent, les couches supérieures du sol deviennent moins compactes, ce qui accroît la probabilité de tempêtes de sable et accentue la désertification des sols.

Le secteur agricole, qui représente à lui seul 60 à 80% de l’utilisation totale des ressources hydriques, est frappé de plein fouet par la crise de l’eau³. Les petits exploitants sont donc amenés à réduire les zones cultivées ou même à abandonner leur activité, ce qui menace leur sécurité alimentaire et accroît la dépendance du pays aux importations de denrées alimentaires alors que le dinar irakien est fortement dévalué. Si la région de Bassorah produit la majorité du pétrole irakien, les communautés les plus vulnérables dépendent de l’agriculture pour vivre. En l’absence de soutien gouvernemental, les agriculteurs ne peuvent parfois compter que sur eux-mêmes et sur l’aide humanitaire pour assurer la subsistance de leur famille.

 

La pénurie d’eau, un terreau propice pour l’insécurité alimentaire

 

Dans le nord de Bassorah, dans le district d’Al-Qurna, Oum Ali (mère d’Ali, prénom de son fils aîné), Sabreen de son prénom de naissance, cultive avec son époux Ali le sidr, aussi appelé jujubier, durant l’hiver et les dattes pendant les mois d’été. Soutenue par Action contre la Faim, la famille a reçu des équipements agricoles tels que des engrais organiques, des kits de jardinage et des outils pour cultiver leurs parcelles.

Sabreen est agricultrice depuis l’enfance et elle a toujours vécu au sein d’une petite communauté à Al-Qurna. Comme sa sœur, elle n’a jamais fréquenté les bancs de l’école et regrette de ne savoir ni lire ni écrire. Malgré cela, son métier représente beaucoup à ses yeux. « J’ai commencé à travailler dans l’agriculture avec ma famille dès l’âge de 9 ans. J’ai l’impression que cette terre est comme l’un de mes enfants. Je sens qu’elle fait partie de moi », confie-t-elle le regard fier au milieu des palmiers recouverts d’une poussière ocre.

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La réduction des débits d’eau douce dans le Tigre et l’Euphrate et le déclin des précipitations a entraîné une intrusion de l’eau de mer dans le Chatt el-Arab, ce qui porte préjudice aux cultures, aux animaux et aux êtres humains. Près du canal d’eau douce en amont de son exploitation, Sabreen rapproche sa main de sa bouche et mime de goûter l’eau en souriant. C’est un rituel qui doit être accompli avant d’ouvrir les valves qui permettent d’inonder les terres.

Si l’eau est trop salée, alors il faudra s’armer de patience et renouveler l’exercice la semaine d’après car l’irrigation à l’aide d’eau salée stérilise les sols et éradique les plantes. « Quand nous plantons des cultures, elles meurent avant la fin de la saison du fait de la salinité et du manque de matériel agricole adapté », témoigne Sabreen. « La situation s’est améliorée ces derniers temps mais la période entre l’hiver et l’été est toujours plus difficile. Mon mari travaille ailleurs pour compléter nos revenus mais ils sont souvent insuffisants pour satisfaire tous nos besoins, et notamment pour couvrir les dépenses médicales » explique-t-elle.

Au niveau national, la crise de l’eau a conduit à une baisse des rendements agricoles qui nuit aux moyens de subsistance des agriculteurs. Selon la Fédération irakienne des associations agricoles, 50 % des agriculteurs vivent déjà au-dessous du seuil de pauvreté tandis que 40 % ont dû abandonner leur profession pour trouver d’autres sources de revenus⁴. Dans ce contexte, certains ménages agricoles sont contraints d’opter pour des stratégies d’adaptation négatives telles que l’endettement, l’achat d’aliments peu nutritifs moins chers ou la réduction du nombre de repas par jour. Alors que les prix des denrées alimentaires sont en hausse, il n’est donc pas rare que les familles doivent s’alimenter moins et moins bien.

Pour en savoir plus sur l’importance d’une alimentation saine et équilibrée, Sabreen et son époux Ali se rendent aux formations en nutrition organisées par Action contre la Faim (ACF) avec leur fils Ali, atteint d’une maladie chronique. Regroupant une vingtaine de femmes et d’hommes originaires de plusieurs villages du nord de Bassorah, ces formations ont déjà permis de sensibiliser près de 300 personnes affectées par le changement climatique et les problématiques de nutrition. Ces sessions, où les agriculteurs sont représentés en majorité, ont aussi pour objectif d’impliquer davantage de femmes dans les processus de décision au sein du foyer.

 « Peu de femmes sont sensibilisées à l’importance de l’alimentation lorsqu’elles sont enceintes ou qu’elles allaitent. Or elles sont particulièrement exposées au risque d’anémie ou de déficit de vitamine D et cela peut affecter la croissance et le développement des enfants. Beaucoup d’entre elles donnent de l’eau à leur enfant pendant les six premiers mois ou bien de l’eau avec des médicaments sans consulter un médecin, ce qui peut avoir des conséquences irréversibles », explique Dania Al-Qaisi, formatrice en nutrition pour Action contre la Faim (ACF) et médecin de formation.

 

IRQ - Nut & Health - 2024 - Meethak AL khatib (6)-min © Meethak AL khatib pour Action contre la Faim
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Repenser les pratiques agricoles pour mieux faire face à la pénurie d’eau

 

Promouvoir un changement de pratiques d’irrigation et moderniser le secteur agricole est essentiel pour relever les défis liés à la pénurie d’eau en Irak. Dans le cadre de sa stratégie locale de gestion de l’eau et en collaboration avec la société Responsive Drip Irrigation (RDI), Action contre la Faim (ACF) a mené un projet pilote dans trois fermes des districts d’Al-Qurna et d’Al-Dair, dans la région de Bassorah. Les agriculteurs participants ont été formés et leurs champs équipés d’un système d’irrigation réactif au goutte-à-goutte. 

Adil Lazim est membre d’une association d’agriculteurs et il réside avec ses neufs enfants et son épouse dans le district d’Al-Dair. Ancien militaire, il s’est reconverti dans l’agriculture et a toujours vécu dans ce district du nord de Bassorah. Sa production agricole a été considérablement affectée par une succession de chocs climatiques. En 2018, ses terres et celles de beaucoup d’agriculteurs de la région ont souffert de la salinisation des sols tandis qu’en 2019, des inondations ont totalement submergé les terres et détruit les cultures. Mais ces derniers temps, c’est la pénurie d’eau qui est source de préoccupation.

 

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« Lorsque le niveau de l’eau baisse, nous sommes inquiets car la sécheresse risque de durer longtemps. Nous pensons au pire. Parfois, nous n’avons pas d’eau pour la terre pendant 10 jours ou plus. Lorsque cela se produit, nous pensons bien sûr à abandonner l’agriculture, mais nous n’avons rien d’autre à faire » se lamente Adil. Du fait de la baisse de ses rendements agricoles, Adil a parfois dû travailler dans le secteur informel ou avoir recours à l’endettement pour nourrir sa famille.

Grâce au système d’irrigation réactive au goutte à goutte, les plantes régulent leur propre approvisionnement en eau, ce qui permet d’économiser l’eau et de produire davantage par rapport à d’autres méthodes d’irrigation telles que l’irrigation de surface, l’irrigation par aspersion, l’irrigation souterraine et le goutte-à-goutte standard. Le système d’irrigation réactif au goutte-à-goutte consomme ainsi environ 758 litres par jour pour 450 mètres carrés de terre, tandis que l’irrigation traditionnelle par inondation en consomme 2270 litres.

« Le système facilite l’irrigation des cultures et il permet de produire plus et mieux qu’avant. Aujourd’hui ma production a doublé, explique Adil. Avec ce système, il y a toujours un réservoir d’eau prêt à fonctionner avec une vanne que j’ai actuellement fermée. Je l’ouvre lorsque l’eau vient à manquer. » D’autres pratiques agricoles ont porté leurs fruits, comme l’irrigation au goutte-à-goutte standard ou l’élaboration d’un compost organique qui permet d’améliorer la qualité de la terre et de limiter l’évaporation de l’eau.

Jawad Jabar est responsable multisectoriel en sécurité alimentaire et moyens d’existence et en eau, hygiène et assainissement pour Action contre la Faim. Originaire de Bassorah, il se souvient que des palmiers s’étendaient à perte de vue et qu’il pleuvait souvent en hiver lorsqu’il était enfant. Mais pour lui, pas question de céder au fatalisme. « Des solutions simples et accessibles existent pour soutenir les agriculteurs. Seulement, elles requièrent un changement des pratiques agricoles traditionnelles, davantage d’investissement financier et une implication accrue des autorités locales et nationales pour passer à l’échelle » conclut Jawad Jabar.

Dans le sud irakien, Action contre la Faim continuera à soutenir les ménages agricoles en œuvrant au renforcement de la gestion de l’eau et à la promotion de moyens de subsistance pérennes pour atténuer les impacts multiformes du changement climatique. En 2023, 4 906 personnes ont bénéficié des programmes de sécurité alimentaire et moyens d’existence et 36 714 aux programmes axés sur l’eau, l’hygiène et l’assainissement en Irak.

 

 


[1] Azzam Alwash et al., “Towards Sustainable Water Resources Management in Iraq,” Iraq Energy Institute (blog), August 30, 2018, https:// iraqenergy.org/2018/08/30/towards-sustainable-water-resources-management-in-iraq/; Mustafa Habib, “Iraq’s Lack of Water ‘Is a Foreign Policy Problem,’” Iraqi-Business News (blog), February 24, 2018, https://www.iraq-businessnews.com/2018/02/24/iraqs-lack-of-water-is-aforeign-policy-problem/

[2] https://www.icrc.org/fr/document/irak-crise-climatique-environnementale-conflit

[3] https://reliefweb.int/report/iraq/water-scarcity-and-environmental-peacebuilding-lens-southern-iraq

[4] الفقر إلى مستويات قياسية في شمال غرب سورية (alaraby.co.uk)

 

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