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En Immersion
Sous ces airs de labyrinthe improvisé, le camp est en fait très bien organisé. Les familles ont chacune leur abri, qu’elles entretiennent souvent avec soin. Nous suivons Abdullah et sa femme Shemayel, tous deux âgés d’une vingtaine d’année et parents de deux enfants, dont la famille a été soutenue par Action contre la Faim jusqu’en septembre 2017. Abdullah nous invite à entrer dans leur abri.
L’intérieur détonne par rapport à l’extérieur : derrière le torchis fait d’eau épaisse, de boue et de paille, un tapis reprisé est posé au sol. Sur les côtés de la pièce, Shemayel a entassé, derrière de vieilles tentures, tout ce que sa famille possède : des matelas pour dormir elle, son mari et leurs deux filles, de quoi cuisiner, un tabouret… Je prends soin d’enlever mes chaussures pour entrer dans cet univers de terre. Abdullah nous propose de nous asseoir, et de nous servir un thé. Ils ont un grand sourire en nous présentant leurs deux fillettes – dont l’aînée de 3 ans a les joues pleines de terre, et la plus petite de 5 mois est emmaillotée comme un poupon.
Autour de nous, des adolescents curieux s’amassent. Nous sortons pour les saluer, expliquer pourquoi nous venons : témoigner des conditions de vie des réfugiés de Kaboul. Khaleda, une jeune fille de 14 ans engage la conversation avec moi. Elle a un sourire éclatant et des fossettes. Sa robe jaune met du soleil au milieu du camp, gris de boue et de pluie. Elle me montre la « tente des bracelets », et m’explique leur activité : ils achètent des bracelets en gros en s’endettant, puis les revendent quelques afghanis sur le marché. Ce sont surtout les enfants et les femmes qui ont cette activité-là – les hommes vendent plutôt des chaussures. Avec les fortes pluies des derniers jours, les bracelets ont pris l’eau. La communauté a la responsabilité d’en prendre soin. Khaleda me propose du thé, elle insiste. Ce sens de l’hospitalité et cette bienveillance chez ceux qui n’ont plus rien m’ébranle profondément.
Comment sont-ils arrivés ici ? Abdullah explique qu’il n’était encore qu’un enfant quand ils ont quitté Kaboul, sa famille et lui. C’était pendant la guerre civile. Les bombes explosaient, les maisons brûlaient et des balles sifflaient dans le ciel de Kaboul. Ils sont partis au Pakistan, puis sont revenus quand la situation a commencé à s’apaiser, avec l’élection de Hamid Karzaï, en 2004, quand le pays semblait être plus stable. Au Pakistan, ils étaient réfugiés : ils voulaient revenir dans leur pays, retrouver leur ville. Mais à leur retour, ils n’avaient plus de maison, pas de terres et pas d’argent pour s’installer. Depuis 14 ans, ils vivent donc à Dewan Bigi. Il y a grandi, s’y est marié et y a eu deux enfants. Ceux qui sont revenus dans leur pays sans rien sont restés des « déplacés », au même titre que ceux qui ont fui les provinces à feu et à sang pour trouver un peu de sécurité à Kaboul. Ceux qui fuient le conflit sont des perpétuels exclus, aux marges de la ville sur des terrains boueux qui appartiennent au gouvernement.
Nous aurions pu rester des heures dans ce village de glaise, mais la règle de sécurité nous impose de rentrer. Les travailleurs humanitaires étrangers sont en effet les cibles privilégiées de kidnappings ou d’attaques en Afghanistan…
C’est à cette réalité que sont confrontés mes collègues expatriés. Venus de toutes les régions du monde, avec leurs compétences et leur expertise au service de la lutte contre la faim, ils vivent au rythme de règles sécuritaires extrêmement contraignantes. Mais ces sacrifices en valent la peine – au-delà de la peur, des conflits, des attentats, de la pauvreté ; il y a la gentillesse et la résilience incroyable des Afghans. Travailler tous les jours à leur contact, pour donner ensemble un espoir au pays, c’est ça qui porte chaque collègue que je croise.
* longue robe noire qui couvre l’intégralité du corps, porté au dessus des autres vêtements par les femmes
Afghanistan
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